le courtisan à Versailles




Cérémonie de remise de l'ordre du Saint-Esprit
en la chapelle de Versailles


Léonard de Baylenx, et sa première épouse, sont « présentés » au roi Louis XV et à la Cour en 1750 (Il a 32 ans, elle en a 20). Cette présentation est le suprême honneur pour un gentilhomme, qui permet en particulier, après avoir justifié de ses quartiers de noblesse et prouvé ses titres, de chasser avec le roi, monter dans les carrosses de sa suite et souper dans les petits appartements, mais surtout ouvre le droit et l’opportunité d’obtenir des charges. Le marquis fut invité à ces soupers , la première fois le 3 janvier 1751, avant d'y retourner à plusieurs reprises.



Les textes montrent bien l'attachement des nobles de province au rôle de la cour, et l'importance que peut alors prendre cette « présentation » au Roi. Le Marquis entre ainsi dans un subtil système de dépendances, de hiérarchie, de récompenses et d’honneurs, en contrepartie des services rendus par sa famille, fidèle depuis plusieurs générations à la couronne royale. Vivre à la Cour suppose aussi avoir les moyens financiers nécessaires. Ce n’est pas le cas pour l’écrasante majorité de la noblesse, mais il semble bien que le Marquis de Poyanne ait ces moyens. On sait que la charge de maître de camp d’un régiment de cavalerie est très onéreuse et n’est accessible qu’à une haute noblesse d’épée, le rang et la fortune comptant alors plus que la valeur militaire. A cette époque le marquis loue et réside déjà dans l’aristocratique rue du Bac, au faubourg Saint Germain, en face des Tuileries, près du séminaire des Missions Etrangères et de l’hôtel des Mousquetaires-gris. La demeure noble par excellence à cette époque n’est plus le château mais bien l’hôtel urbain, à fortiori dans le faubourg Saint Germain puis Saint Honoré. Puis il préfère louer, en 1761( son épouse meurt le 10 juillet), l'hôtel Chanac de Pompadour (au 142 rue de Grenelle, actuelle ambassade de Suisse).
Il côtoie le Roi, et surtout Madame de Pompadour dont « il est du parti » précise le marquis d’Argenson. Il est en effet cité parmi ceux qui fréquentent assidûment Trianon où, contrairement à Versailles, on n'est admis que sur invitation, nominative de surcroît.



Ainsi dans ses mémoires, le duc de Luynes précise en 1753 : « les hommes qui y sont presque toujours sont M. de Soubise, de Luxembourg, d’Ayen, de Gontaut, de Poyanne, quelquefois le baron de Montmorency, toujours M. de La Vallière ». Il y dîne régulièrement, et il est cité en mai 1756 parmi ceux qui »ont permission de faire leur Cour ». Au même titre que Soubise, ami et confident du Roi, le marquis de Poyanne semble être un protégé de Madame de Pompadour. C’est à elle, et « par la faveur obstinée des cabinets », qu’il doit, selon certains, la charge de commandant des carabiniers. Le marquis d’Argenson, frère du Secrétaire d’Etat de la Guerre, ajoute : « Mon frère a cédé sur l' affaire des carabiniers .Ainsi tout va-t-il, les hommes ne sont plus faits pour l' Etat depuis que la marquise gouverne, mais l' Etat pour les hommes ». Un jour que le roi Louis XV allait chez la reine il rencontra M de Poyanne, a qui il dit: "Je viens de vous nommer colonel du régiment de Bretagne. Le marquis de Souvré rangé par hasard à coté de M de Poyanne s'ecria avec un ton de surprise; " Vous le savez donc, Sire" faisant allusion a la volonté des conseillers qui prévalait sur celle du monarque. Le roi piqué lui tourna brusquement le dos ( souvenirs d'un homme de cour anonyme 1788 )

De 1751 à 1756 en particulier, il fréquente les soupers du roi et de la marquise dans leurs cabinets. Il est alors parmi la vingtaine de courtisans et courtisanes accompagnant régulièrement le roi et sa maîtresse dans les « voyages » à Trianon et les cabinets du petit pavillon français ( avec Madame de Mirepoix, la duchesse de Brancas,dame d'honneur, la marquise de Livry, madame de Marchais, la marquise d'Estrades, la comtesse de Pons...toutes dames de la société habituelle de la marquise de Pompadour, le prince de Soubise, le duc de Luxembourg, le duc d'Ayen, le marquis de Montferrand, le baron de Montmorency, le marquis de Meuse, le duc de Chevreuse, le duc de Chaulnes, etc.)



On le voit à Versailles, mais aussi régulièrement aux chasses à Compiègne et Choisy, au château de la Muette, à la table du roi, intime du Duc d'Orléans dont il devient capitaine des chasses de Vincennes en 1752, chez le prince de Soubise . Favori de Madame de Pompadour, intime de Louis XV, il " fait sa cour" entre deux campagnes militaires ... et se vexe lorsqu' il est écarté du cercle :
Le 23 juillet 1753 à Compiègne, la résidence préférée de Louis XV, il est, à l'occasion des traditionnelles manoeuvres militaires, au souper avec le Roi, la marquise de Pompadour, madame d'Estrades,  le prince de Condé, le prince de Turenne. Mais le 25, la table du roi comptant trente couverts, Poyanne n'en fut pas.Un témoin raconte:

Le 25 au soir, je suivis le Roi au camp, où il monta à cheval pour voir manœuvrer le régiment du Roi, qui marcha au mieux et tira au plus mal. Cela mena jusqu'à la nuit, que le Roi entra sous les tentes où il joua et soupa ensuite, sous ces grandes tentes, à une table de trente couverts. Je menai les dix qui n'y pouvaient tenir, dans une autre tente où nous soupâmes avec le maréchal de Duras , qui but bien, et plusieurs autres. Cela fit tracasser tout le monde du voyage, car l' on s'était fait écrire, comme pour Choisy. Ayant voulu souper ou à la table, ou sous la même tente que le Roi, MM. d'Armentières et de Poyanne allèrent bouder dans la plaine.
( journal du duc de Croy - 25 juillet 1753 )




Versailles - aile nord des courtisans -

Comme tous grands seigneurs comprenant que la présence à la Cour est une condition indispensable pour bénéficier de la faveur royale, Poyanne dispose d'un logement au château de Versailles. Les Archives Nationales conservent d'ailleurs un plan légendé du projet d'appartement qui lui était promis en mars 1769. De fait il s agit d'un petit logement d'une pièce avec cheminée, et une retombée d' entresol, situé au second étage, sous les toits, dans l'attique de l'aile nord édifiée par Jules-Hardouin Mansart. On sait qu'il en dispose encore en 1777.

Cela agace parfois les militaires: "Je ne m'accoutume point à voir que l'on veuille des grâces, des grades, des récompenses, et des agréments, et que l'on se soit pas prêt à tout faire. Mr de Poyanne est assez bien traité du Roy pour se livrer au service pendant toute la Guerre" (lettre du duc de Belle Isle au maréchal de Contades le 24 10 1758)




Le château de Petit-Bourg

à Evry, au bord de la Seine, proche de la route de Fontainebleau et de la forêt se Sénart. .



Ancienne propriété de Madame de Montespan, qui y accueillit Louis XIV et s'y retira après sa disgrâce, puis de son fils le duc d’Antin, surintendant des bâtiments du Roi, ce château avait servi plusieurs fois de rendez vous de chasse à Louis XV, avant d’être démoli en 1750 et totalement reconstruit, dans le style néo-classique, en 1756, par l'architecte Jean-Michel Chevotet pour Marie Jacomel, la veuve de Louis Chauvelin, président du Parlement de Paris. Le marquis de Poyanne l’achète à ses héritiers, avec son beau-frère et collègue  inspecteur de la cavalerie et des dragons, Augustin Louis Marquis de Ray.


Le marquis de Poyanne y reçoit le jeune Roi et Marie-Antoinette accompagnés de la Cour, sur leur chemin vers Fontainebleau, après avoir organisé une revue de ses troupes 

Leurs Majestés et la famille Royale firent l'honneur au marquis et à la Marquise de Poyanne de diner au château de Petit-Bourg.
Le Roi fit ensuite la revue des dix Escadrons où il fut reçu et salué par Monsieur, et vit les manoeuvres, qui furent commandées par Monsieur, et exécutées avec la plus grande célérité et le plus grand ordre.
Sa Majesté a daigné témoigner au Marquis de Poyanne combien Elle étoit satisfaite de la beauté distinguée du Corps et de la manière dont il avoit manoeuvré ".

Gazette de France du lundi 17 octobre 1774




Ce château sera par la suite transmis à la maison d’Orléans et offert à la duchesse de Bourbon. Occupé puis incendié par les Allemands en 1944, il a aujourd’hui disparu.
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Quelques mois plus tard, le marquis participe à la pompeuse cérémonie du sacre de Louis XVI à Reims le 11 juin 1775. ll est en effet l'un des quatre chevaliers du Saint-Esprit , vêtus du grand manteau de l'Ordre, placés dans les quatre premières hautes stales du choeur,  chargés des offrandes. Pour lui, sur un coussin de satin rouge bordé de franges d'or,  une bourse de velours rouge brodée d'or dans laquelle sont treize pièces d'or qu'il apporte jusqu'au trône du roi avant d'accompagner celui-ci jusqu'à l'autel.


13 juin 1775- Hommage des Chevaliers de l'Ordre du Saint-Esprit



L’hôtel de Poyanne à Paris.



La seconde marquise de Poyanne, séparée de biens, avait acheté en 1754, avant son mariage, aux héritiers du chancelier d'Aguesseau, l’hôtel particulier construit vers 1720 par celui-ci, situé à l’emplacement du n° 41 rue du faubourg Saint Honoré, vis à vis de la rue d'Aguesseau (et donc voisin de l'hôtel d'Evreux - actuel palais de l'Elysée - que le roi a acheté un an plus tôt pour l'offrir à Madame de Pompadour). Le lot était composé de trois immeubles qui prirent le nom de Grand et Petits hôtels Poyanne. Il est dans ce qui constitue à l'époque un des plus beaux quartiers de Paris, ses jardins à l'arrière donnant sur le grand Cours des Champs Elysées. A sa mort, ils reviennent à son frère Louis Erard de Ray qui les lègue par testament à Marie Caroline Rosalie de Baylenx Poyanne, petite fille de la marquise et épouse du Prince de Chalais Talleyrand. Il semble qu'elle l'ait vendu en 1807 au comte Le Pelletier de Morfontaine pour 387 000 l, se réservant les petits hôtels qu'elle loue.






Acheté en 1836 par  Joseph Delfau baron de Pontalba, pour 600 000 francs de l'époque, l'hôtel de Poyanne est  démoli en 1842 pour la reconstruction par l' architecte Louis Visconti de l' hôtel actuel dit de Pontalba. Il est ensuite racheté, sur licitation, à la succession, en 1876, par le baron Edmond de Rothschild. et enfin  et enfin acquis par les Etats Unis. Il est aujourd'hui la  résidence de l’ ambassadeur des USA



Saint-Mandé

Outre son hôtel particulier, le marquis de Poyanne dispose de sa "maison de campagne" à Saint-Mandé près du bois et du château de Vincennes. Il y fait même venir de Poyanne des plants de pêchers pour son verger.
C'est en effet à Saint-Mandé que se trouve la capitainerie des chasses royales de Vincennes dont il est titulaire en second, sous le duc d'Orléans.Le duc de Luynes précise: "On pourrait croire que M. de Poyanne n'est que le lieutenant ou capitaine en second; mais je sais d'ailleurs qu'il a le titre de capitaine ( lettre du 4 novembre 1752)

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Il est donc évident que le Marquis de Poyanne n’a que rarement séjourné en son château landais, hormis des visites annuelles d'inspection, occupé qu’il était entre garnisons, campagnes militaires, résidences à Paris et à  la Cour de Versailles.
A sa mort on sait qu’y résidait un concierge, ancien carabinier, et quelques domestiques, et qu’un régisseur s’occupait du domaine. On a trace de Leonard Toupi, dit Lavalette, ancien dragon et major d'un régiment de cavalerie, régisseur, mort en 1813 à l'age de cinquante trois ans. Plusieurs carabiniers de ses régiments semblent d'ailleurs avoir été employés par le marquis en son château.


Le Marquis de Poyanne,
Le chapeau rétapé,
Fit un falut à l'âne,
Car il s'étoit trompé.
Jofeph dévotement, quittant fa patenôtre, ,
Dit pour excuTer ce Seigneur.-
C'eft la coutume, mon Sauveur,
Qu'un âne gratte l'autre.
(mémoires secrets ou journal d'un observateur - M de Bachaumont-Londres 1777)


A cette occasion M. de Poyanne a régalé d'un exercice mesdames les comtesses de la Suze et de Surgère,et la marquise de Châtre; et ensuite, en général français qui sait son métier, il les a fait danser sur le champ de bataille , qui étoit notre parc,au son des trompettes et des clairons. Voilà ce qui s'appelle faire la guerre.

(lettre de M de Cosson à M de Voisenon La Fleche 16 06 1765)

Le marquis de Poyanne était un courtisan suffisamment à la mode pour faire l'objet de couplets médisants. Ainsi en 1775:

Martinville est charmante
Et fera son chemin
Si l'amour la contente
Jugez de son destin!
Attendant ce moment, Poyanne s'en occupe;
Il est aimable, il est galant,
Bien retapé, et bien payant,
Mais il n'est que sa dupe.
(L.F. Metra - Correspondance littéraire secrète T II p 309)

( Mme de Martinville étant la belle veuve d'un fermier général, peu sauvage dans ses rapports avec les courtisans et le roi lui-même, et dont le marquis était à l'époque une ami "très intime")

Déjà, en 1741, Saint Simon, au courant de tout, parlait de sa liaison et de son éventuel mariage avec Mademoiselle de Montcavrel ( Diane Adélaide de Nesle),dite "la grosse réjouie",  qui, comme ses soeurs, fut une des maîtresses de Louis XV,  ( le roi la maria à Louis de Brancas duc de Lauragais).



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